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SNCF: L'innovation à rebours
Subrepticement, la SNCF a commencé à déployer de nouvelles bornes automatiques de ventes de billets. On se souvient du chaos qui avait accompagné par le lancement de SOCRATE en 1993 (voir le rapport de la cour des comptes), le premier système de réservation de la SNCF avec ses premières bornes automatiques. Le vieux rêve de la SNCF est d'imposer la réservation universelle, et rapprocher le train de l'avion, plutôt que du métro. L'idée est que plus la réservation se répand, plus la SNCF peut planifier son trafic. En bon gestionnaire, au moins sur le papier, la SNCF essaie donc systématiquement de généraliser la réservation. Ce-faisant, l'entreprise nationale ignore un certain nombre de règles élémentaires tant de l'économie, que de la psychologie et plus généralement de l'innovation.
- Economie et psychologie d'abord: en rendant la réservation gratuite, la SNCF a commis une erreur grave. Tout voyageur s'en sera rendu compte en arrivant dans un train que, désormais, de nombreuses places sont réservées, et vides. Toute ressource gratuite entraîne l'abus d'utilisation, une dérive bien connue des économistes qui lui donnent le doux nom de tragédie des communes. Y a-t-il des économistes à la SNCF? Un DEUG suffirait pourtant. Comme cela ne coûte rien de réserver, et qu'on y est même encouragé par les employés de la SNCF, on réserve, et puis on voyage un autre jour, ou tout simplement à une autre place. Double impact: on bloque un siège pour un autre passager, et on se retrouve sans siège soi-même. Ajoutons également l'impact pour le système de réservation de la SNCF, autrefois utilisé de manière limitée, et financée par les suppléments, et aujourd'hui généralisé, sans source de financement.
- D'innovation ensuite: sur les bornes actuelles, que j'utilise chaque semaine, je peux prendre mon billet en exactement huit pressions de boutons et moins de trois minutes. Le système ne me demande pas de réservation. Je prends mon billet non daté, je paie, et c'est terminé. Un peu en avance l'autre jour, je me suis décidé à essayer les nouvelles bornes. D'abord, la lenteur est effrayante. On ne sait jamais si le bouton a été pressé ou non. Ensuite, implacable, le système demande une date de départ, et une date de retour. On passe donc à un nombre d'étapes au moins doublé. J'ai abandonné en cours de route après plusieurs minutes pour revenir à une ancienne borne.
On pense que le progrès va toujours dans le bon sens: les choses deviennent plus simples, les concepteurs de système passent du temps avec les futurs utilisateurs, prennent en compte leurs besoins. On pense que le chercheur Eric von Hippel a raison quand il explique que l'utilisateur est au coeur de l'innovation. On devrait ainsi pouvoir prendre un billet de train en quelques instants, sans remplir un dossier complet. Mais pas à la SNCF, qui semble avoir une conception différente de l'innovation: être au service de sa conception du voyage, pas des besoins de ses clients. A quand les ailes aux trains pour vraiment ressembler à des avions?
Posted by Philippe Silberzahn on juin 9, 2005 at 08:00 AM dans Opinion | Permalink
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Commentaires
Cest certain qu'avec les nouvelles bornes la SNCF va pouvoir rapidement penser à recruter des guichetiers, tant les gens sont dépassés par ce nouvel engin digne de STAR WARS, à quoi bon les hautes technologies si elles ne servent qu'à être moins efficaces, moins rapides et surtout plus du tout à la portée de la majorité des usagers. La SNCF avec une nouvelle technologie pour un grand pas en arrière.
Au moins cette technologie aura certainement le mérite de faire baisser le chomage en France par un recrutement massif de guichetiers à la SNCF.
Rédigé par : lorenzzo73 | 31 oct 2005 22:08:47
C'est intéressant de voir comment sont perçus les processus d'innovation mis en oeuvre par les entreprises.
Monsieur Silberzahn s'insurge contre la gratuité de la réservation dans les trains et met en exergue des dysfonctionnements constatés sur les bornes SNCF.
Il commet quelques confusions:
1) la réservation n'est pas gratuite mais intégrée dans un calcul de coût de distribution des titres de transport, réparti de façon globale et dans les trains à réservation obligatoire (TGV et Corail Téoz), il n'est pas possible d'embarquer dans un nouveau train sans procéder à l'échange du titre , et donc à la remise à disposition de l'ancienne place.
(Si un client souhaite acheter une réservation sans titre de transport, le coût est de l'ordre de 15€)
2) au niveau des bornes, toute évolution d'un système informatique de distribution nécessite des investissements colossaux avec pour objectif d'intégrer l'ensemble des systèmes existants. (On peut, par exemple, comparer cette démarche à la mise en place d'un ERP dans un grand groupe.)
Forcément, ces opérations se font dans la douleur et provoquent des "couacs" inévitables appelés "anomalies" par les professionnels du secteur.
Certaines sont bloquantes et doivent être corrigées dans les plus brefs délais.
D'autres, appelées gênantes, sont traitèes en urgence moindre.
Le ralentissement du temps de transaction est une anomalie gênante qui devra être corrigé, avant que ces nouvells bornes remplacent les anciennes.
Dans mes souvenirs, je ne crois pas avoir vu plus d'une dizaine de bornes sur toute la France...
3) Suite à la remarque faite par Nicolas, les anciennes bornes ne permettaient pas aux clients étrangers de régler leur titre de transport avec leur CB. Ce qui devrait changer avec la nouvelle borne.
Tout cela, pour dire, que toute modification profonde d'un système informatique engendre tracas et bugs récurrents. Je pense que, sur ce point, les développeurs de logiciels seront d'accord.
Tous les manuels d'innovation parlent de l'importance d'expérimenter et d'avancer par ajustements progressifs.
Mais peut-être ne partagez-vous pas cette opinion et cette vision de l'innovation...
Rédigé par : Frédéric | 24 juin 2005 19:51:48
J'aime bien quand Philippe rapproche le degré de formation des individus et la maîtrise de la chose économique; nos élites (et leurs sujets) sont trop intelligents pour analyser correctement un problème économique. "Commandant, le bateau(-France) coule !" - "pas de problème, moussaillon, donnez-moi le diamètre du trou, et je vous dirai quand enfiler les combinaisons !". Fut un temps, cela aurait pu faire rire...
Rédigé par : François Dubrulle | 13 juin 2005 23:41:15
Sans parler de la non prise en compte des touristes/étrangers qui n'ont pas de carte "CB" et juste une VISA/Eurocard qui malheureusemnt ne marchent pas sur certaines bornes...
Rédigé par : Nicolas | 9 juin 2005 12:08:36
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