Nespresso: quand la simplicité du produit masque la complexité du processus d'innovation

L'une de mes questions favorites lorsque je donne un cours sur l'innovation est de demander aux participants combien de temps ils pensent que Nestlé a mis pour développer et lancer avec succès sa machine à café Nespresso. Alors, votre réponse? Un an? Cinq ans? Eh bien non. La réponse c'est vingt-et-un ans. Parti d'une technologie licenciée à l'institut Battelle par Nestlé en... 1974, Nespresso ne deviendra rentable qu'en 1995. Il aura donc fallu 21 ans à l'entreprise pour "réussir" l'innovation Nespresso.

Durant cette période, Nestlé aura connu des problèmes techniques, et des échecs commerciaux (le produit a été lancé plusieurs fois, sur différents marchés avec des modèles économiques différents). Par exemple, l'une des premières tentatives de commercialisation vise les restaurants. L'idée est de vendre une petite machine à espresso aux restaurants. C'est mal calculer: conçue pour de petits volumes, la machine offre un coût à la tasse de café produit très élevé, alors que les restaurateurs n'ont que faire d'une petite taille mais font très attention au prix unitaire de la tasse produite. D'abord lancé au sein de Nestlé, le projet Nespresso doit rapidement être isolé dans une entité spécifique en raison de l'hostilité du reste de la société. Le projet ne cadre pas du tout avec le cœur de métier de Nestlé qui vend du café en sachets aux supermarchés, alors qu'il s'agit de vendre une machine à des particuliers. Il faut dire que le projet absorbe un budget conséquent aux dépends des autres unités d'affaires engagées dans une concurrence féroce avec les autres producteurs de café en grains.Le projet ne tient, malgré ses échecs successifs, que grâce au soutien du PDG de la société - Mais sur quelles bases a-t-il pu conserver sa confiance au projet? Était-ce rationnel? Jusque-là géré par des cadres pur-sucre de Nestlé, le projet connaît une nouvelle vie lorsque Nestlé se décide à recruter un outsider pour le diriger. Le choix se tourne vers celui qui avait lancé la marque de vêtements de Marlboro. Quelqu'un qui ne connaît donc rien au café, mais qui a l'expérience de lancer une affaire radicalement différente du cœur de métier de son entreprise, et qui n'est pas prisonnier des schémas de pensée de Nestlé (qui par ailleurs produisent des bénéfices réguliers comme une horloge suisse année après année: Nestlé est une société très, très bien gérée; la longueur du processus d'innovation ne peut s'expliquer par une éventuelle incompétence de Nestlé, l'hypothèse ne tient pas). Les études de marché sont négatives, personne n'en veut (un grand classique des innovations radicales), mais le dirigeant les ignore, et lance finalement le produit avec le positionnement que nous lui connaissons aujourd'hui. Et ça finit par marcher. Ajouter à cela l'idée du Club Nespresso, qui positionne le produit plutôt haut de gamme et permet un marketing direct aux clients, et l'ouverture de magasins gérés directement par Nestlé, une autre première pour la société, on a là une accumulation d'innovations qui montrent les risques incroyables pris. Surtout, le cas montre la persistance de Nestlé: 21 ans d'échecs, et chaque année l'entreprise remet au pot: "Continuez comme ça, on y croit toujours". Quand même, les réunions budgétaires annuelles n'ont pas du être faciles, surtout vers la fin quand les pertes s'accumulaient. Mais 21 ans d'échecs qui aboutissent à l'un des produits actuels les plus profitables de Nestlé, qui a connu 25% de taux de croissance au premier semestre 2009, en pleine crise économique. 21 ans pour une simple cafetière!

Posted by Philippe Silberzahn on février 10, 2010 at 05:00 AM dans Cas d'école | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack

Voiture électrique et création de valeur

Voici un article très intéressant de Scott Anthony sur la voiture électrique. L'article s'intitule "La véritable histoire de la voiture électrique? Pas la voiture!". Scott Anthony est un spécialiste de l'innovation et co-auteur de Clayton Christensen de Seing what's next.
En substance, Anthony prétend que l'important dans la question de l'émergence de la voiture électrique n'est pas la voiture elle-même, mais ses composants. Selon-lui, faire une voiture électrique est beaucoup plus facile que faire une voiture classque, ce qui abaisse la barrière à l'entrée pour de nouveaux concurrents. Les goulets d'étranglements, qui sont la source de valeur dans toute industrie, se trouvent plutôt dans certains des composants, notamment les batteries. Il see pourrait donc bien que les constructeurs ne soient plus à l'avenir que de simples assembleurs de technologies tierces, apportant une valeur ajoutée relativement faible.
Anthony cite l'exemple des fabricants d'ordinateurs comme Dell, et c'est là que son propos devient moins convaincant car Dell, de son point de vue, est l'exemple même d'un fabricant assemblant des technologies tierces, sans valeur ajoutée a priori. Sauf que Dell a connu une réussite extraordinaire malgré cela grâce à sa maîtrise de la chaîne de fabrication et de logistique, plus sa marque et plusieurs autres domaines d'excellence. Cela montre bien qu'on peut assembler des technologies tierces et créer malgré tout de la valeur...

Posted by Philippe Silberzahn on février 3, 2009 at 12:14 PM dans Cas d'école | Permalink | Commentaires (1) | TrackBack

Quand Carrefour met ses clients en prison

Il y a quelques années, un chercheur américain avait écrit un article mémorable intitulé "Agrafez-vous à un bon de commande". L'idée était pour une entreprise de suivre à la trace un bon de commande pour découvrir la chaîne de traitement et essayer de comprendre les méandres que doivent parfois suivre leurs clients. Peut-être Carrefour devrait suivre la même idée et s'agrafer au parcours de ses clients pour comprendre les situations auxquelles ceux-ci peuvent être confrontés, comme aller en prison, par exemple.
L'histoire est la suivante, et elle m'est arrivée le samedi 18 août vers 13h pour être précis.

Personne n'aime faire la queue à la sortie d'un supermarché. Arrivé aux caisses, j'avise donc des queues fort longues et je me dis tiens, essayons leurs nouvelles caisses automatiques. Je déboîte le chariot et là on m'indique que, non, les caisses ne sont pas pour les chariots. Qu'à cela ne tienne, nous vidons sur le champ le-dit chariot et remplissons autant de paniers que nécessaire. A ce stade, le côté absurde nous fait encore sourire, mais ça ne durera pas. Je m'apprète à passer le chariot de l'autre côté, mais la dame m'indique que, non, le chariot ne peut pas passer, il faut faire le tour par la sortie officielle située dix mètres plus loin. Alors que j'objecte que j'ai devant moi un espace béant sans aucun client et que je pourrais passer, je me vois rétorquer "c'est la règle monsieur". Ma femme entreprend donc de commencer à scanner les articles en tenant comme elle peut le bébé qui s'agite, et je fais le tour pour apporter le chariot de l'autre côté. Les choses ne se passent pas très bien: beaucoup d'articles ne passent pas correctement et nous sommes obligés de les scanner plusieurs fois avant d'entendre le bip qui nous soulage. Le temps passe et nous scannons, nous scannons... Finalement arrivé au dernier article, vient le temps de payer. Et là la machine refuse obstinément d'afficher le bon écran. Nous attendons la dame qui a disparu. Elle revient finalement et débloque la machine. Nous nous tournons vers les articles qui se sont entassés (par chance il n'y a pas de client derrière nous, je comprendrai seulement plus tard pourquoi) et remettons tout dans des sacs que nous avons apportés (oui, comme vous le savez, afin d'améliorer la vie de ses clients, Carrefour ne fournit plus de sac). Voilà, tout est terminé, le bébé hurle de faim, nous sommes passablement fatigués, et c'est alors... c'est alors qu'arrive le vigile: "Bonjour, nous allons vérifier votre caddie". Et de TOUT nous faire déballer. Le contenu entier du chariot est déversé sur le comptoir, et ma femme est priée de justifier chacun des articles qu'il contient. Sachant qu'un ticket de supermarché est à peine plus lisible que l'ancien testament en araméen, l'opération est naturellement longue, fastidieuse et particulièrement désagréable. Le bébé hurle à la mort. Et bien sûr, bien sûr arrive l'inévitable: certains articles n'ont pas été scannés. Regard de triomphe chez le vigile. Des voleurs!!! Oh le butin est bien misérable: une paire de chaussettes, des prunes et une boîte de câpres (pour être vraiment exact, aucun détail ne vous sera épargné). Total; 16€95. Là, j'avoue, je craque. Top c'est trop. Je refuse de payer. Cela fait maintenant plus de 45 minutes que nous sommes ici, et j'indique au vigile que je pars avec le chariot et je laisse les fameux articles "volés". Pas possible. Comme je suis un voleur, soit je les paie immédiatement, soit ils appellent la police. Comme je refuse de parler plus longtemps au vigile - tout cela ne peut être qu'un grand malentendu, il fait de l'excès de zèle et tout ça va se régler bien vite, je demande à parler à un responsable. Ce qu'on me refuse "Et pourquoi vous voulez lui parler au responsable?". Ben oui, quoi, c'est stupide comme souhait. Je me dirige vers l'accueil ou j'explique ma situation et l'employé, très gentil, appelle un responsable. Le responsable... de la sécurité en l'occurence. Bien sûr. Les anglais disent que pour un marteau, tout ressemble à un clou. Et bien pour un responsable de la sécurité, tout ressemble à un voleur. Tu paies, où on appelle la Police, en regardant ailleurs, avec son téléphone à l'oreille. Ma femme et moi nous nous regardons, incrédules. C'est un mauvais rêve. La machine Carrefour s'est emballée, mais on va se réveiller, un individu responsable va arriver et clore tout ça gentiment.

Pas du tout. Un employé de Carrefour qui passe me glisse, compatissant "et si vous saviez comment ils nous traitent, nous!" Eh bien appelons la Police. Elle arrive donc un quart d'heure plus tard. Trois policiers (la prochaine fois que vous appelez en vain le commissariat, sachez que les policiers sont occupés pour aider Carrefour à gérer les relations avec ses clients). Très gentils, et légèrement embarrassés par le ridicule de la situation, les policiers me confirment qu'ils n'ont d'autre choix, si je ne paie pas mes 16€95, que de me passer les menottes et de m'emmener au poste pour enregistrer la plainte. Un policier me confie même "Y a le même système près de chez moi et c'est tout le temps en panne".

Et là j'ai faibli, je l'avoue. Mon bébé hurle de faim depuis une demi-heure, ma femme fait ce qu'elle peut pour le calmer, et je ne me sens pas de jouer les fanfarons et de me faire embarquer par la Police. Ce n'est pas que ça m'aurait gêné outre mesure, mais on imaginera volontiers que ma femme n'aurait peut-être pas eu la même distance sur la question que moi. J'ai donc payé mes 16€95. L'ordre règne de nouveau au centre commercial Créteil Soleil.

Posted by Philippe Silberzahn on septembre 2, 2007 at 09:17 PM dans Cas d'école | Permalink | Commentaires (3) | TrackBack

"Le téléphone qui fait aussi photo numérique, un fiasco garanti!"

En relisant les actes d'une conférence sur l'innovation qui s'est tenue en 2002, je suis tombé sur les propos suivants d'un intervenant: "Voici quatre exemples de succès incontestables: le minitel, l'internet, le téléphone portable et la photo numérique. Mais on va tenter d'en faire un peu plus en ajoutant des gadgets, en augmentant les performances, en croisant les fonctionnalités (par exemple un téléphone portable qui fait aussi de la photo numérique); c'est un fiasco à peu près garanti". Et là je m'arrête. Un téléphone appareil photo, fiasco garanti?
Hum... il est évident facile d'où nous sommes et là où il était, de nous moquer de notre ami si sûr de lui. Au delà du côté amusant, cet exemple souligne la difficulté qu'il y a à prévoir le succès d'une innovation. La téléphonie mobile est un bon exemple de mini-ruptures qui ont bouleversé les acteurs en place: l'apparition de l'appareil photo, qui s'est développée comme une traînée de poudre: soudainement, tout le monde voulait un appareil photo sur son portable, la killer app des années 2003-2004; idem pour le format clapet (clamshell) dont la popularité soudaine a coûté si cher à Nokia.
Au fait, quel était l'argument de notre estimé futurologue? Selon-lui, "Ce n'est pas l'innovation qu'on achète, mais le service. Si l'innovation n'apporte pas un saut indiscutable dans le service rendu, elle a peu de chance de rencontrer un vrai succès". Là j'ai du mal à suivre: le futile se vend, et s'est toujours vendu. Ce que le client achète, c'est la valeur, pas le service, et la valeur est une notion subjective. Un MMS en couleur a une valeur très faible pour moi, mais peu en avoir une très forte pour un ado de 15 ans. un chercheur me racontait récemment la mésaventure de ce grand groupe de télécom qui avait failli perdre un énorme marché en Chine parce que ses centraux téléphoniques n'étaient pas capables de jouer une musique d'attente particulière. Pensez-donc: des dizaines de millions d'euros suspendus à une sonnerie!
C'est donc une erreur classique que de juger du potentiel d'une innovation selon ses propres critères, au lieu de le juger selon ceux de la "cible". C'est ainsi que régulièrement, les innovations sont sur-, ou sous-évaluées. Bon, maintenant que vous êtes prévenus, vous pouvez répondre: la télé sur mobile, fiasco garanti ou killer app?

Posted by Philippe Silberzahn on février 6, 2006 at 07:00 AM dans Cas d'école | Permalink | Commentaires (1) | TrackBack

RAZR: le succès improbable de Motorola ou l'innovation révisionniste

Vous avez sans doute entendu parler du RAZR (prononcer Razor), le téléphone star de Motorola, ultra-fin, qui a marqué le début de la renaissance du pionnier de la téléphonie mobile. Selon l'histoire officielle, la RAZR est le produit d'un redressement de l'entreprise soigneusement planifié...

Au détour d'un forum rendant compte d'une discussion d'un ingénieur de Motorola, on apprend que la réalité est quelque peu différente.

Apparement, le développement du RAZR a été lancé par un ingénieur et son équipe, et le projet a été... rejeté par la direction de l'entreprise. L'ingénieur est donc allé en Chine, seul, trouver un sous-traitant (Outsourced Design and Engineering), et est retourné voir la direction, ...avec plus de succès. On retrouve un phénomène semblable chez Intel avec les micro-processeurs en 1986.

Evidemment, quand on connaît l'histoire, la présentation officielle fait sourire: comment l'entreprise fut innovante, comment le RAZR faisit partie d'un plan ingénieux, comment on peut reconstruire, a posteriori, ce qui finalement fut en fait une réussite totalement inattendue, due à l'initiative obstinée d'une personne.

Pourquoi le RAZR a-t-il été rejeté, au fait? Apparemment, parce qu'il manquait de fonctions. Très poussé sur le plan du design, il est en revanche relativement pauvre en termes de fonctions. Lancer un tel produit était totalement contraire à la culture de Motorola, une entreprise d'ingénieurs à la pointe de la technologie depuis 75 ans.
S'il fallait une preuve que Motorola n'attendait rien du RAZR, elle est fournie par son PDG, Ed Zander. Alors que l'entreprise connaissait de grosses difficultés dans ce secteur, au point de songer sérieusement à céder une activité considérée comme sans avenir, le PDG donne une conférence aux analyses financiers en septembre 2004, un mois seulement avant la sortie du produit, ...et ne le mentionne même pas!
Le redressement de Motorola, et son adaptation culturelle au marché grand public est donc le résultat, et non la cause, de la réussite inattendue d'un produit-phare.
L'innovation n'est pas certes le fait du hasard, mais souvent de l'initiative individuelle qui réussit à franchir les obstacles que s'évertuent à mettre en place les gestionnaires. Motorola, cela dit, s'est bien ratrappé, comme l'on fait avant Sony, sauvé par la Playstation inventée par un ingénieur longtemps ignoré de la direction, Apple sauvé par l'iPod que l'entreprise n'a pas inventé elle-même, et d'autres encore.

Posted by Philippe Silberzahn on novembre 3, 2005 at 07:00 AM dans Cas d'école | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack

Nespresso, histoire d'une innovation stratégique

A voir absolument pour ceux qui l'auraient raté dimanche soir, un reportage sur Nespresso dans Capital, qui est rediffusé sur M6 dans la nuit de mardi à mercredi, à 0h50. Vous y découvrirez l'histoire de ces étonnantes petites capsules, qui ont transformé le marché du café ces dernières années. Aujourd'hui un ménage sur cinq en France serait équipé d'une cafetière de type expresso ; une révolution sur un marché dont la dernière innovation, le café soluble, remontait aux années 50 !

Vous y découvrirez l'homme qui, dès le milieu des années 70, a imaginé cette révolution, Eric Favre, ancien salarié de Nestlé. L'histoire passionnante d'une innovation stratégique (pour reprendre la typologie Markides-Geroski des innovations) : peu d'impact sur les habitudes des consommateurs (ça ne change pas fondamentalement le nombre de cafés que vous prenez dans la journée), mais un impact destructeur sur les compétences et les actifs des acteurs établis (d'où les difficultés des outsiders à remonter la pente aujourd'hui).

Posted by Bernard Buisson on octobre 18, 2005 at 07:00 AM dans Cas d'école | Permalink | Commentaires (6) | TrackBack

Rupture par le bas, l'exemple de Landwind, la "lada" chinoise

Le propre des ruptures par le bas, c'est de démarrer en étant méprisé par le haut. Clayton Christensen, dans son livre "The innovator's dilemma", distingue en effet deux types de ruptures: D'une part, la rupture technologique, qui consiste à inventer un nouveau type de produit technologiquement très avancé et qui bouscule les autres produits. Le meilleur exemple de rupture technologique est l'iPod d'Apple. D'autre part, la rupture par le bas, qui consiste à attaquer un marché avec un produit simplifié et moins cher. En général, ce type de produit est aussi moins bien. Il est parfois même de qualité médiocre. Dans les années 70, le voitures japonaises étaient la risée des occidentaux: moches, simplistes et plutôt peu fiables. Mais elles n'étaient pas chères et n'imposaient pas à leurs acheteur des options qu'ils ne désiraient pas. Elles ont donc ouvert un segment qui était de plus en plus frustré par les offres de l'époque, constitué des gens qui voulaient une voiture simple et pas chère. Avec le temps, les voitures japonaises se sont améliorées, jusqu'à définir les standards de qualité après lesquels les constructeurs occidentaux courent toujours. Il y a donc une règle quasi intangible: une rupture par le bas est toujours traitée par le mépris par les acteurs en place, et quand ils se réveillent, c'est trop tard.
A lire la presse ces derniers jours, il se pourrait bien que les voitures chinoises soient en train de suivre le même chemin. Il y a quelques mois, on annonçait l'importation des premières voitures chinoises. Réactions immédiates des "spécialistes": ces voitures ne sont pas une menace pour les fabricants occidentaux, car leur qualité laisse à désirer. Mais ça n'a pas suffi car les premières voitures livrées sont parties comme des petits pains. On sort donc l'artillerie lourde, et l'on peut lire en ce moment un article du Monde où on nous dit que la Landwind, un tout terrain chinois, est en fait dangeureux. Sans rire, on nous explique même qu'elle devient mortelle à 64km/h. C'est peut-être vrai, mais cela n'empêche pas les clients de l'acheter - sont-ils bêtes; combien de temps les fabricants européens se berçeront-ils d'illusion? Progressivement, les chinois, comme leurs prédécesseurs coréens, et avant eux japonais, amélioreront la qualité de leurs voitures, et entameront leur remontée du bas de gamme vers le haut de gamme. Ca ne se fera pas en deux ans, mais durant cette période, ils peuvent largement s'installer dans un segment important et rentable, et en déloger les autres fabricants.

Posted by Philippe Silberzahn on septembre 30, 2005 at 07:00 AM dans Cas d'école | Permalink | Commentaires (7) | TrackBack

GooglePrint: une innovation radicale combattue comme telle

C'était prévisible, la plus importante association d'auteurs américains vient de porter plainte contre Google Print pour violation de copyright. Rappelons que Google Print a pour ambition de numériser des oeuvres et de les rendre accessible sur le Web. "Personne d'autre que les auteurs et les propriétaires de leurs droits ne peut décider si une oeuvre peut être copiée, et de quelle manière" déclare l'association, qui souhaite arrêter l'expérience. Ce que l'association oublie de dire, c'est que Google Print ne numérise des oeuvres qu'avec l'accord de leurs auteurs, et qu'en plus relativement peu du livre est montré à l'écran.
L'avantage de Google Print est de rendre facilement accessible des oeuvres qui sont introuvables ou rarement diffusées. On peut imaginer que Harry Potter n'ait aucun intérêt dans Google Print; mais si vous êtes auteur d'un dictionnaire d'argot ouzbek, Google Print est un moyen unique d'augmenter votre visibilité en bénéficiant de la "longue queue" du Web. En somme, l'establishment littéraire a tout à perdre avec Google Print, non pas parce que ses droits seraient mis en cause, mais parce que des auteurs "mineurs" auraient droit de cité. En somme, Google Print est une vraie innovation radicale, qui remet en question les leaders dominants - auteurs vedettes, bibliothécaires, éditeurs, tranquillement installés dans leurs monopoles; normal qu'ils réagissent violemment, mais on notera la dissymétrie: s'il est facile pour eux d'arguer de la violation de copyright, il est plus difficile pour les autres de soutenir Google en expliquant qu'ils souhaitent être "google-isés". Combien, en effet, sont les auteurs qui vivent de leurs droits? Très peu. La plupart souhaitent simplement diffuser leur oeuvre le plus possible, mais ils n'ont pas voix au chapitre. Google print est une tentative de démocratisation de l'accès au livre, et la polémique actuelle n'est pas sans rappeler celle qui avait fait rage il y a quelques années lorsque certains auteurs avaient demandé, sans rire, la fermeture des bibliothèques pour forcer les gens à acheter des livres.

Posted by Philippe Silberzahn on septembre 28, 2005 at 07:00 AM dans Cas d'école | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack

Microsoft, Windows et Macintosh: le coup de poker de 1985

J'ai toujours eu du mal à expliquer un épisode très étonnant de la micro-informatique des années 80: en 1985, Bill Gates écrit une lettre aux dirigeants d'Apple pour les convaincre d'ouvrir leur système d'exploitation et de le licencier à des fabricants. Dans cette lettre, où il démontre sa compréhension extraordinaire de l'industrie, Gates explique pourquoi ça permettrait à Apple de gagner le leadership du monde de la micro-informatique, indique qu'il soutiendrait fortement cette initiative et se propose même de convaincre les premiers fabricants. Il faut se rappeler qu'à l'époque, Microsoft est déjà une société qui compte dans le secteur, même si ce n'est pas encore le mastodonte actuel. Mais quand on sait que Microsoft est l'éditeur de MS-DOS et a dans ses cartons un projet appelé Windows, futur concurrent direct d'Apple, cette lettre est vraiment extraordinaire. Certains y voient une preuve du machiavelisme de Gates.
Il y a une explication plus vraisemblable, que j'ai récemment trouvée dans une note cachée au fond du livre de Robert Burgelman, qui s'appelle "Strategy is Destiny". Selon Burgelman, Microsoft se trouve en 1985 dans une position très difficile: la première version de Windows a été un échec piteux, et la deuxième version rencontre des difficultés techniques énormes. Le projet patine. Dans le domaine des applications, Microsoft n'a pas réussi à s'imposer face aux leaders en place: Visicalc et surtout Lotus dans les tableurs, WordPerfect dans les traitements de texte. La stratégie d'extension à partir de sa franchise MS-DOS est en passe d'échouer.
Dans le monde Macintosh, la situation est très différente. Très tôt, Word a pris le leadership des traitements de texte professionnels, et Excel s'impose également très vite comme le seul tableur existant pour Macintosh. Microsoft tire un revenu très important du Mac. On peut imaginer le raisonnement de Gates: je suis en train de perdre dans le monde MS-DOS, et je suis déjà leader dans le monde du Mac. Si je peux faire en sorte que le Mac devienne dominant, et que MS-DOS disparaisse, mes concurrents disparaîtront en même temps et ma position de leader sera renforcée. Seule une rupture dans l'environnement pourra réouvrir le jeu. Ainsi, il est vraisemblable que Gates ait souhaité miser sur le Mac en 1985, et cela explique qu'il ait tout fait pour convaincre Apple de licencier son OS. Devant les atermoiements des dirigeants d'Apple, toutefois, Gates se rend rapidement compte qu'Apple n'osera jamais franchir le pas. La rupture devra donc venir du monde MS-DOS, d'où le paquet mis sur Windows à partir de cette époque-là. On connaît la suite...

Posted by Philippe Silberzahn on septembre 19, 2005 at 07:00 AM dans Cas d'école | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack

Zidane, le sauveur et la notion d'équipe

Je ne connais rien au football à part le nombre de joueurs sur le terrain, et j'avais cru comprendre qu'il s'agissait d'un sport d'équipe; mais j'ai du me tromper. On nous a en effet annoncé le retour de Zinedine "magic" Zidane au sein de l'équipe de France. Ce que beaucoup ont vu comme un divine surprise me semble, en fait, traduire l'échec de l'équipe de France à être justement une équipe après le départ des héros de 98. Jim Collins, dans son ouvrage Good to Great, soulignait le danger pour une organisation à faire appel à un génie charismatique. Il oppose le "génie entouré de mille assistants" au leader modeste capable de créer un groupe performant. Le génie, parce qu'il est un génie, produit en général des résultats spéctaculaires très vite, mais tout seul. On peut s'attendre à un festival de buts, avec le reste des joueurs qui vont faire de la figuration. Mais il ne règle pas le problème de fond qui est que la France n'a pas été capable de construire une vraie équipe de football depuis 1998. Quand une telle équipe fait le constat de son échec et s'en remet à un génie qui dit être guidé par des voix qu'il entend, on peut craindre le pire quant à se qui se passera le jour où il prendra vraiment sa retraite. Il aura masqué les faiblesses, mais ne les aura pas réglées.

Posted by Philippe Silberzahn on septembre 7, 2005 at 02:45 PM dans Cas d'école | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack