"The design of business", par Roger Martin ou comment l'entreprise se conçoit comme un produit
J'ai ru rater quelque chose: Je viens de terminer "The Design of Business" de Roger Martin. Roger Martin est le doyen de la Rotman School of Management de l'Université de Toronto et crée une vraie sensation avec sa critique de l'approche managériale classique. Selon lui, celle-ci repose sur des algorithmes, c'est à dire des recette toutes faites basées sur une approche rationnelle censée fonctionner à tous les coups et garantir un résultat. Or le monde actuel requiert une approche différente basée sur des heuristiques, c'est à dire des règles moins systématiques qui ne garantissent pas de résultat mais qui combinées, permettent de progresser. Or selon Roger Martin, c'est précisément ce que font les designers toute la journée. Il préconise donc une nouvelle approche du management inspiré des méthodes de design. Présenté comme cela, difficile d'être contre et c'est bien le problème. Depuis la mort du planning stratégique dans les années 80, plus personne ne pense que l'approche du management peut être purement déterministe avec des règles qui garantissent un résultat à coup sûr. Une telle approche a été décrédibilisée par les faits (voir la suppression brutale du département de planning stratégique chez GE en 1980) et par la recherche (voir les travaux de Mintzberg notamment). Roger Martin tire-t-il sur une ambulance?
Dans son ouvrage, Martin décrit longuement comment le business design a sauvé Procter & Gamble. Dans les années 2000, la société souffrait d'une absence de croissance et a commencé à perdre de l'argent. AG Lafley, relativement jeune à l'époque, remplace donc le PDG et se lance dans une modification des modes de fonctionnement de l'équipe de direction. Tenez-vous bien, celle-ci devient autorisée, et même encouragée, incroyable, à avoir des discussions sur les questions à l'ordre du jour. Auparavant, chacun arrivait avec sa présentation entièrement blindée pour obtenir la décision recherchée. Lafley encourage également l'ouverture de l'entreprise vers l'extérieur dans la création de nouveaux produits. Selon Martin, c'est-là typiquement du business design. Pourquoi pas? Le problème c'est que d'autres ont décrit sa démarche sous le terme d'innovation ouverte. Roger Martin pratique-t-il l'art du repackaging? Qui sait si dans quelques mois un gourou ne va pas nous expliquer ce que Lafley a fait chez P&G sous un nouveau terme? Au final, la lecture de cet ouvrage s'avère frustrante et même décevante. Et c'est dommage car la question initiale, et les diverses interventions de Martin dans des conférences, pointent sur une question qui vaut la peine d'être discutée, celle de l'éducation de nos managers dans un esprit "causal" et déterministe. Tous nos programmes reposent sur une logique dans laquelle un manager doit avant tout définir des buts clairs, et ensuite se poser la question des moyens pour les atteindre. Or l'incertitude qui caractérise l'environnement des entreprises ne permet pas de définir de tels buts facilement. Donc oui, la question des approches fondamentales du management se pose, mais ce livre n'apporte pas vraiment de réponse satisfaisante.
Posted by Philippe Silberzahn on février 11, 2010 at 05:00 AM dans Revue | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack
Nouveau livre: Working on innovation
Voici la parution de "Working on Innovation", nouveau livre en anglais sur l'innovation dont j'ai écrit l'un des chapitres avec Christophe Midler. Il s'agit d'un ouvrage universitaire collectif dirigé par Christophe Midler, Guy Minguet, et Monique Vervaeke qui fait le point sur l'évolution du travail des innovateurs.
Depuis le milieu des années 80, le développement des stratégies concurrentielles basées sur l'innovation intensive a transformé profondément la conception de nouveaux produits et services. Beaucoup a été écrit sur ces nouvelles approches et leurs nouvelles formes organisationnelles associées qui sont à même de susciter de capacités créatives et concurrentielles dans les entreprises. Beaucoup moins en revanche a été écrit sur la transformation du travail et de l'identité des professionnels impliqués dans ces transformations: ingénieurs, concepteurs, chercheur, responsable marketing et surtout chefs de projet.
Le travail de ces professionnels de l'innovation est réellement difficile à observer en raison même de sa nature - un travail intangible effectué sur une longue période, de son accessibilité et de son statut. L'objet de ce livre est de proposer un certain nombre de clés pour comprendre la dynamique du travail de ces professionnels de l'innovation.
Examinant les évolutions de l'organisation dans de grandes entreprises et des startups, les auteurs explorent plusieurs secteurs comme les hautes technologies, les marchés grand public, les biens d'équipement, la chimie, l'aéronautique ainsi que des fournisseurs de ces grandes entreprises.
Le résultat de cette recherche montre un monde de réseaux dans lequel la grande entreprise effectue de la recherche avec une startup, développe ses produits avec des concepteurs indépendants, et implique ses fournisseurs dans ce développement. Sont également analysées dans ce livre les stratégies industrielles, les conditions organisationnelles de la conception de produits, et la dynamique de l'identité professionnelle des acteurs de cette transformation.
Ce livre universitaire intéressera les chercheurs travaillant sur l'innovation, les politiques de recherche et de nouvelles technologies, le management. Il intéressera aussi les ingénieurs, manageurs et concepteurs eux-mêmes qui souhaitent réfléchir à l'évolution de leur métier.
Les chapitres et contributeurs:
1. Introduction: The New
Regimes of Design in Industry and Working Process. Christophe Midler,
Guy Minguet, Monique Vervaeke.
Part One: Constructing the Value of Innovation.
2. Innovation-Driven Competition and Design System Dynamics: The Case
of Car Communication Systems. Christophe Midler, Sylvain Lenfle.
3.
From Watching the Markets to Making Trends: The Role of Industrial
Designers in Competitive Strategies. Monique Vervaeke.
4. Concurrent
Exploration and Research Management: Case Study Featuring a Speciality
Chemicals Company. Lise Gastaldi, Christophe Midler.
5. Innovation
Quest & Organization Dynamics in Start-Up: Linking the Cognitive
and Social Dimensions in Start-Up Development. Philippe Silberzahn,
Christophe Midler.
Part Two: Innovations, Training And Social Identities.
6. Engineering In Torment: Anomy or the Emergence of a Model. Guy
Minguet, Florence Osty.
7. What Social Model Should Apply to Industrial
Research? Analyzing Changes in Human Resources Management in a
Speciality Chemicals Company. Lise Gastaldi.
8. Autopsy of the Internet
Bubble: A Managerial Revolution or Capitalizing on Employees’ Emotions
(France 1998-2003). Emmanuelle Savignac, Anne-Marie Waser.
9.
Redynamizing Trades: A Case Study in Aeronautic Industry. Philippe
Lefebvre, Pascal Roos, Jean-Claude Sardas.
Working on Innovation
Dirigé par Christophe Midler, Guy Minguet, et Monique Vervaeke
Price: $110.00
ISBN: 978-0-415-49844-9
Published by: Routledge
Publication Date: 3rd August 2009
Le lien sur Amazon ici.
Le site du livre chez l'éditeur (avec des pages en accès libre) ici.
Posted by Philippe Silberzahn on août 7, 2009 at 04:17 PM dans Revue | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack
Faut-il sauver les grandes écoles?
Ah voilà un livre qui ne va pas manquer de faire du bruit. Son sous-titre: "De la culture de la sélection à la culture de l'innovation". Là ça nous intéresse.
Voici l'argument du livre: Véritables machines à sélection, les grandes écoles constituent d'efficaces cabinets de recrutement pour le CAC 40, sans être pour autant les moteurs de l'économie d'innovation qu'elles pourraient et devraient être, compte tenu de leurs liens privilégiés avec les entreprises. Leur bonne santé apparente est trompeuse et leur degré de fermeture sociologique insupportable.
Loin de pouvoir rivaliser avec les grandes universités scientifiques et technologiques étrangères - foyers de l'économie de la connaissance et fers de lance de la compétitivité de leurs pays -, les écoles d'ingénieurs sont beaucoup trop petites, fermées et franco-françaises.
La France prend un retard considérable alors que les solutions sont connues : regrouper les écoles en ensembles de taille internationale ; intensifier les liens avec les universités ; accroître la diversité sociale et culturelle ; internationaliser vigoureusement.
Pierre Veltz a été directeur de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et président de ParisTech, qui regroupe dix écoles d'ingénieurs parmi les plus prestigieuses. Il enseigne à l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et à Sciences Po Paris. Plus d'infos: http://www.veltz.fr.
Posted by Philippe Silberzahn on septembre 26, 2007 at 07:00 AM dans Revue | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack
The Growth Gamble, une pierre dans le jardin de l'innovation
On vous l'a dit et répété, seule l'innovation permet à l'entreprise de croître sur le long terme; l'innovation est donc cruciale pour l'entreprise, sa seule chance pour lutter contre la concurrence des pays émergents. Tous le monde est d'accord là-dessus. Tout le monde, sauf Campbell et Park, deux professeurs à Ashridge Business School, et auteurs de The Growth Gamble - When leaders should bet big on new businesses and how to avoid expensive failures. paru en 2005. Leur constat initial est le suivant: la plupart des entreprises qui lancent des initiatives fortes de croissance sous la forme de grand projet échouent en général. Les auteurs donnent deux exemples parmi tant: McDonald's et Intel. Le cas Intel est particulièrement intéressant car il est l'objet des travaux de Robert Burgelman, dont nous avons déjà parlé sur ce blog. Intel a mis en place un système d'intrapreneuriat permettant à chaque employé de développer des idées qu'il peut avoir. Selon Burgelman, seule cette approche permet l'innovation et donc la découverte de nouveaux marchés. Oui, sauf que Intel a régulièrement échoué dans ses initiatives et n'a jamais réussi à sortir de son coeur de métier qui est le microprocesseur.
Campbell et Park sont d'accord avec Christensen pour dire que l'innovation radicale est source de croissance durable, mais ils contestent la portée de l'énoncé par deux arguments: d'une part, les innovations radicales qui changent les industries n'arrivent pas si souvent que ça. Peut-on dès lors structurer une entreprise pour un raz de marée qui n'arrivera probablement jamais? Mieux vaut, selon eux, bien exécuter l'innovation incrémentale et explorer les pistes de croissance autour de son coeur de métier. D'autre part, se lancer dans une innovation radicale est très dangereux pour l'entreprise, qui sort de son terrain connu. L'attractivité d'une opportunité n'existe donc pas en elle-même, mais toujours en relation avec l'entreprise qui décide de l'exploiter.
Sur cette base, les auteurs proposent un outil intéressant permettant d'évaluer les nouvelles opportunités, notamment sur la base de l'adéquation avec le l'activité actuelle.
La critique de la littérature sur l'innovation est intéressante et les
auteurs n'ont pas forcément tort lorsqu'ils expliquent que la
révolution ne peut pas être faite tous les jours ni surtout par tout le
monde. Il n'en demeure pas moins vrai qu'une entreprise qui ignore
cette dimension le fait à ses risques et périls, et les bouleversements
ont plutôt tendance à apparaître plus que moins fréquemment. On
reprochera aux auteurs notamment une conception passive de
l'opportunité: une opportunité, selon eux, c'est quelque chose qui
existe 'comme ça', et que l'entreprise peut évaluer. Mais la
littérature sur l'entrepreneuriat a précisément montré que c'est
beaucoup plus compliqué que ça: une opportunité se construit au moins
autant qu'elle se découvre. Pour cela, il faut bien entreprendre des
démarches d'innovation, risquées et parfois qui se terminent mal,
celles-là mêmes que Campbell et Park déconseillent. Au final, leur
prudence quant au 'tout innovation' et en particulier sur les extrêmes
de type 'chaos créatif' à la Gary Hamel est bienvenue, mais leur
critique de l'importance de l'innovation est néfaste.
A noter, pour
les chercheurs, une annexe très intéressante où les auteurs comparent
leur travail à celui de plusieurs auteurs dans le domaine des
stratégies de croissance.
Posted by Philippe Silberzahn on janvier 29, 2007 at 07:00 AM dans Revue | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack
Une brève histoire de l'avenir, Jacques Attali
Voilà un livre que l'on s'apprêtait à lire avec gourmandise: Attali essayant d'imaginer l'avenir à partir de la connaissance encyclopédique qu'il a du passé et du présent. Comme il le dit lui-même, l'exercice est difficile. Nombreux s'y sont essayés, sans succès et parfois avec ridicule. L'ouvrage commence par une magistrale histoire du monde en 40 pages - on n'en attendait pas moins de l'auteur. Attali estime que l'histoire a été structurée par 8 grands pôles qui chacun ont correspondu à une grande innovation. Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres, Boston, New-York et aujourd'hui Los Angeles. Selon lui, de siècle en siècle, l'humanité impose la primauté de la liberté individuelle sur toute autre valeur. Autrement dit, l'histoire humaine est celle de l'émergence de la personne comme sujet de droit, autorisée à penser et à maîtriser son destin, libre de toute contrainte. L'histoire tend vers l'émergence ce qu'il appelle une démocratie de marché, modèle universel. Sur la base de cette analyse, Attali se lance dans une prédiction de l'avenir.
Et très vite, l'intérêt initial alimenté par la culture et la largeur de vue de l'auteur fait place à la déception. En synthèse, sur la base de l'effondrement des structures nationales et étatiques minées par la démocratie de marché triomphante, Attali prévoit l'émergence d'un hyper-empire qui pourra donner lieur soit à une guerre, soit à une hyperdémocratie. S'ensuivent près de 200 pages de prédictions assez précises, prudemment agrémentées toutefois de "ou peut-être l'inverse". Les prédictions, en elles-mêmes, ne sont pa particulièrement intéressantes. Elles permettent cependant un bon balayage de tous les thèmes d'actualité: nomadisme, émergence d'une classe a-nationale, privatisation croissante des services, affaiblissement de l'empire américain, difficulté de l'Europe à émerger, crises écologiques à venir, etc. Attali n'a rien oublié.
La déception vient de trois raisons. Premièrement, et dans la grande tradition Attali, la culture et la vision trahissent (nécessairement dira-t-on) un manque de profondeur; les prévisions sont fréquemment égrenées sur la base d'approximations. Une par exemple: l'auteur situe bizarrement le huitième coeur à Los Angeles, source de la révolution électronique. Or c'est plutôt à San Francisco qu'il se situe. En outre, Attali écrit: "Certaines entreprises de logiciels deviennent parmi les premières du monde: Microsoft, AOL, Oracle, Google, toutes californiennes" (p.141). Oui, sauf que Microsoft a été créée à Albuquerque, Nouveau Mexique en 1975 avant de déménager à Redmond, dans l'état de Washington. Quant à AOL, difficile de faire moins californienne: elle a été créée en... Virginie, à l'autre bout des Etats-Unis. Quand on connaît la dureté de sa réaction face à un journaliste qui l'avait interrogé sur un paragraphe de son livre en faisant un contresens, on aimerait qu'il applique son exigence de précision sur son propre travail.
Deuxièmement, Attali emploie pour imaginer son avenir une bonne vieille méthode: l'extrapolation. Il prend une tendance, la pousse jusqu'à son terme et hop, voilà l'avenir. Le problème, comme l'ont noté nombre d'auteurs, est que l'extrapolation fonctionne bien pour prévoir l'avenir à condition qu'il n'y ait pas de bouleversement. En clair, rien dans le travail d'Attali ne permet d'anticiper des ruptures.
Troisièmement, cette extrapolation repose sur une hypothèse, celle de l'existence de lois de l'histoire immuables, qui permettent donc de prévoir l'avenir. C'est sans doute ici que l'auteur perd son lecteur. Sans ouvrir le vieux débat sur le sens de l'histoire, il emble difficile de défendre l'existence de lois de l'histoire. Attali trahit en cela un fond marxiste inavoué - bien qu'il ait prétendu dans son livre précédent qu'il n'avait jamais été marxiste. Cela explique qu'il emploie un vocabulaire crypto-marxiste en parlant beaucoup des "forces de l'histoire" et peu des individus. Il en ressort une vision déterministe de l'évolution du monde sur laquelle l'homme n'a pas vraiment de pouvoir: seules les forces agissent. La lecture du livre, vers la fin, devient une litanie de prédictions basées sur l'application de ce modèle exactement comme Marx avait décrit la fin du système capitaliste, avec la même logique historiciste. Au final, un livre inutile et incertain, dont la faiblesse du propos n'est malheureusement pas compensée, comme on aurait au moins pu l'espérer d'un tel auteur, par une profusion d'idées et de concepts.
Une brève histoire de l'avenir, chez Amazon.
Posted by Philippe Silberzahn on janvier 8, 2007 at 07:00 AM dans Revue | Permalink | Commentaires (5) | TrackBack
Citizen Game
Citizen Game est l'histoire de Kalisto, startup bordelaise spécialisée dans les jeux, de sa naissance en 1990 à sa liquidation en 2002, racontée par son fondateur et dirigeant, Nicolas Gaume. Nous avions mentionné une conférence très intéressante que Nicolas avait donnée à l'Ecole des Mines dans un billet précédent. L'aventure est édifiante et mérite d'être relatée. Créée en 1990, Kalisto connaît très vite un succès fulgurant, produisant quelques best-sellers mondiaux et travaillant avec les plus grands éditeurs et acteurs de monde du jeu et du multimedia. Pour soutenir sa croissance, l'entreprise est cotée en bourse. En 2000, l'effondrement des valeurs Internet l'empêche de faire un nouvel appel au marché, alors que contrairement à ses collègues de la nouvelle économie, son modèle économique et son activité sont fondamentalement sains (produits, chiffre d'affaire, clients, réputation, etc.) Sans cet apport d'argent, la société est asphyxiée.
L'histoire de Kalisto, jusque-là conte de fées, se transforme rapidement en cauchemar où l'absurde le dispute au tragique. De héro, Gaume passe comme il le dit lui-même au stade de zéro, de tocard. La presse, qui l'avait encensé, le descend désormais en flamme (grand classique, à méditer pour les impétrants). Il y a quelque chose de tragique dans la disparition de Kalisto. Dans n'importe quel pays normalement constitué, l'entreprise aurait rapidement trouvé un investisseur pour la recapitaliser, sur la base de ses fondamentaux en bêton armé. Mais pas en France. Le livre dépeint l'amateurisme désinvolte et pétochard de la COB, les banquiers ne valent guère mieux et l'auteur reconnaît volontiers sa naïveté de novice dans un univers, la finance, qu'il découvre à marche forcée, mais toujours semble-t-il avec un temps de retard.
L'histoire de Kalisto est celle d'un gâchis absurde, d'une mort qui n'aurait pas du se produire. Le livre montre bien qu'il ne suffit pas d'avoir de superbes produits pour réussir, mais qu'il faut savoir s'entourer et que la stratégie de financement devient primordiale lorsque la croissance de l'entreprise démarre vraiment. Il montre également le manque crucial d'experts et de culture entrepreneuriale dans notre pays à l'époque (les choses se sont un peu améliorées depuis heureusement). Enfin, il montre aussi la difficulté spécifiquement française d'accepter la prise de risque: l'entrepreneur qui échoue est forcément un escroc et un salaud: Gaume fut publiquement insulté dans les médias et traîné en justice par des actionnaires, alors qu'il s'était endetté lourdement dans les derniers mois de la vie de l'entreprise pour essayer de la sauver et payer les salaires de ses employés (il a été blanchi depuis). Le livre devient franchement émouvant lorsque Gaume apprend la mort de son père au plus fort de la crise de Kalisto puis, quelques jours plus tard, de son grand-père. Un jour peut-être, l'échec honnête sera reconnu en France pour ce qu'il est, le prix à payer pour réussir à créer des entreprises, des emplois et de la richesse. Si ce livre, passionnante histoire entrepreneuriale, peut y contribuer, ce sera beaucoup.
Le livre sur Amazon: Citizen Game.
Posted by Philippe Silberzahn on décembre 11, 2006 at 07:00 AM dans Revue | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack
L'écoute des silences
On m'a signalé l'existence d'un livre très intéressant sur l'innovation; il s'agit de l'écoute des silences par Thierry Gaudin. Ne le cherchez pas sur Amazon ou chez votre libraire: publié en 1978, il est épuisé, et c'est fort dommage. Heureusement, l'auteur a eu la bonne idée de le mettre en accès libre sur Internet. Réflexion très riche sur l'innovation, on y trouve également des considérations sur les institutions ("Les institutions contre l'innovation"), sur la recherche scientifique, l'histoire des techniques et le contrôle social de la technologie.
Le livre en version html, word et PDF ici.
Le site perso de Thierry Gaudin, qui travaille actuellement sur la prospective, ici.
Posted by Philippe Silberzahn on novembre 6, 2006 at 07:00 AM dans Revue | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack
Un regard extrême d'orient sur notre vieille Europe
Appartenant à la race des français ayant rencontré le succès à l’étranger, Charles Gave (Ici Hong Kong, les français parlent aux français) était de passage à Paris la semaine dernière pour présenter son nouveau livre «C’est une Révolte ? – Non, Sire, c’est une Révolution!». Le titre, un brin provoquant, prend tout son sens quand on lit le sous-titre : « l’intelligence prend le pouvoir. »
Dressant dans le registre de l’économie politique un portrait du monde où les frontières ne sont plus étanches à la circulation accélérée de la matière grise, Charles Gave nous aide à reprendre espoir : oui, des contrées favorables aux entrepreneurs existent bien (je sais, c’est un peu cliché mais on l’avait presque oublié).
Ce qui est moins banal, c’est comment cet ouvrage nous aide à réfléchir simplement sur des sujets actuels que tant d’experts aiment à analyser avec un langage compliqué afin de satisfaire leur propre envie de paraître intelligent. On sent que ce vieux briscard de la finance qu’est Charles Gave a surtout une idée en tête : rester factuel et nous renvoyer une image du monde des affaires tel qu’il se dessine.
Implacable dans ses propos, on sent bien que l’auteur jubile à nous expliquer le rôle essentiel des acteurs financiers dans l’allocation des ressources aux entrepreneurs. Les financements vont toujours vers les meilleurs projets, et même si les mauvais investissements sont possibles (l’erreur est humaine), globalement ça marche : le cycle de l’innovation - gains de productivité – investissement s’entretient grâce à une petite poignée d’individus qui acceptent de prendre un risque (les entrepreneurs, vous l’aviez déjà compris).
Evidemment, ces règles universelles rencontrent sur la surface terrestre des agents perturbateurs : les Etats. Dans ce registre, la « sociale-démocratie » à l’européenne (épicentre : Paris, France) en prend plein pour son grade, et M. Gave en profite pour nous faire réfléchir sur les mythes sur lesquels cette idée politique généreuse s’appuie pour prendre des mesures autoritaires et souvent électoralistes. Par exemple l’illusion qu’une balance commerciale positive est une bonne chose et qu’en conséquence les importations massives un handicap. Ce sophisme, largement détourné dans notre pays pour railler la politique américaine, est dans l’ouvrage brillamment illustré avec le modèle économique de Dell : pour son marché US, Dell achète un ordinateur à un fabriquant basé à Taiwan, ce même fabricant y intégrant des logiciels Microsoft et de puces Intel (moins chers, naturellement que le prix de revente du PC fini) : il y a donc plus de dollars US que de monnaies asiatiques qui changent de mains. Mais dans ces échanges, les US vendent leurs puces et logiciels avec des marges supérieures à 80% tandis que les constructeurs asiatiques, dans un rôle d’intégrateur et de fabricant de claviers, peinent à dépasser les 5% : vendre des gains de productivité est un luxe que l’on peut se payer quand on innove. Les statistiques nationales et les manipulations publiques de ces chiffres dont les décideurs font gorges chaudes ne mesurent donc pas l’efficacité sous-jacente de ces modèles de développement sous forme de plates-formes industrielles mondiales. Innovation über alles, donc.
Vous me direz : pourquoi faire un lien entre les problèmes quotidiens de l’entrepreneur et la macro-économie ? Réponse d’après Charles Gave : les Etats qui ignorent la véritable place de l’entrepreneur et qui, au dessus de nos têtes, manipulent la monnaie pour tenter de pérenniser, dans notre hexagone en particulier, un modèle social séculaire inadapté au monde d’aujourd’hui. Je crois me souvenir que Jacques Rueff disait : « tant que l’on me prête de l’argent, je continuerai de commander à mon tailleur un costume par semaine ! ». Aussi, avec un mauvais usage de la monnaie par une allocation publique consacrée à trop de dépenses de structure (consommation ou remboursement des intérêts de la dette par le crédit) tout en menant une politique fiscale décourageant l’investissement nécessaire aux gains de productivité (combien de Business Angels en France ?), nos armées de bureaucrates français et européens ont créé un gouffre qu’il va bien falloir reboucher, et l’on risque de devoir jeter le bébé (l’entrepreneur !) avec l’eau du bain.
Le livre de Charles Gave est un vrai plaidoyer pour un usage du monde comme il est. A lire pour savoir si l’on est prêt à prendre un aller simple pour Bengalore. Sauve qui peut !
Le livre sur Amazon.
Posted by FrancoisDubrulle on juin 8, 2006 at 07:00 AM dans Revue | Permalink | Commentaires (1) | TrackBack
Strategic management of technology and innovation
Ca faisait longtemps qu'on n'avait pas parlé de Robert Burgelman sur ce blog. Un petit retour donc pour évoquer "Strategic management of technology and innovation", un livre monumental - 1000 pages! - dont il est l'auteur avec Modesto Maidique, Clayton Christensen, et Steven Weelwright pour la 3e édition. Tous trois sont des experts reconnus en matière de recherche sur la technologie et d'innovation. Il s'agit en fait d'un manuel complet sur le sujet, plutôt destiné aux enseignants. En susbtance, si vous devez faire un cours sur le sujet et si vous ne pouvez acheter qu'un seul livre, prenez celui-ci. Naturellement, il sera utile aussi aux autres, notamment les praticiens. Tout au long des chapitres, le livre alterne présentations théoriques et cas concrets, très nombreux. Toutes les grandes théories du domaine sont naturellement expliquées du point de vue du manager: vision évolutionniste, gestion de la technologie, compétences-clés, chasm de G. Moore, innovation de Christensen, développement de nouveaux produits, etc. Les différents niveaux et comment ils interagissent sont également bien décrits.
Malgré sa taille (et son poids), l'ensemble est très lisible - à condition toutefois de partir avec une certaine connaissance du domaine, sinon on risque d'être vite noyé sous les concepts qu'on ne connaît pas forcément. Il ne s'agit donc pas d'un livre d'initiation au domaine.
Posted by Philippe Silberzahn on mai 24, 2006 at 07:00 AM dans Revue | Permalink | Commentaires (0) | TrackBack
"The Business of Software", de Michael Cusumano
"The business of Software", de Michael Cusumano, est un livre très intéressant pour tous ceux qui sont impliqués, de près ou de loin, dans l'industrie du logiciel. C'est un livre rare qui combine des informations à la fois techniques et business sur ce métier finalement peu décrit. Cusumano n'est pas un nouveau venu dans le domaine. Il a écrit au moins deux livres majeurs sur l'univers du logiciel. Le premier était Microsoft Secrets, où comme le nom le laisse suggérer, il décrit minutieusement les méthodes de développement de Microsoft, en mettant en avant la fameuse technique du "sync and stabilize" qui s'oppose à l'approche "windfall" traditionnelle dans l'industrie. En somme, Microsoft synchronize quotidiennement les différents modules de son logiciel, y compris avec une équipe de plusieurs dizaines de programmeurs, alors que les méthodes des "usines à logiciel" fixent plutôt de grandes étapes entre lesquelles chacun travaille dans son coin sur la base de spécifications précises. Cusumano explique que précisément, lorsqu'il n'est pas possible d'établir des spécifications précises, les usines à logiciel ne peuvent pas fonctionner.
Le second livre écrit pas Cusumano, et qui vaut également vraiment la peine d'être lu, c'est Competing on Internet Time: Lessons from Netscape and Its Battle With Microsoft. Il s'agit du récit fascinant de la lutte entre Netscape et Microsoft pour la domination du marché des navigateurs, avec une très forte analyse des aspects techniques de cette bataille. En substance, Cusumano explique que Netscape a, entre autres, perdu parce que l'entreprise n'a pas su architecturer correctement son produit. Microsoft a lui procédé en deux temps. D'abord, il s'est agi de sortir très vite une version pour occuper le terrain. Ensuite, Microsoft a en quelque sorte fait une pause architecturale, et a complètement revu la structure du logiciel. Si cela a entraîné une perte de temps à court terme, cela a néanmoins permis à Internet Explorer d'être beaucoup plus solide techniquement et d'évoluer plus vite ensuite. Au contraire, Netscape, freiné également par sa politique consistant à offrir son navigateur sur toutes les plates formes, y compris les plus exotiques, n'a jamais fait cette pause essentielle, et son logiciel est devenu de plus en plus difficile à maintenir et à faire évoluer.
The Business of Software est moins haletant ou distrayant, il se lit plus comme un rapport exhaustif. Dans ce livre, Cusumano passe en revue tous les aspects de ce métier: quelle stratégie pour les sociétés de logiciels, sachant que le terme recouvre des situations très diverses (société de service, éditeur, etc.); Meilleures pratiques de développement, où il reprend la distinction entre sync and stabilize et windfall; et Entrepreneuriat logiciel, un chapitre consacré aux startups dans ce domaine.
Si le livre ne contient rien de révolutionnaire, il constitue néanmoins une très bonne synthèse sur le domaine en mêlant adroitement des considérations techniques que marketing, stratégiques et commerciales. Il est facilement lisible par le public de chacun de ces domaines, partant du principe que chacun devrait connaîte ce qu'il évoque pour avoir une bonne vue d'ensemble de son industrie... et de son entreprise.
Lien Amazon: The Business of Software; La page Web de Michael Cusumano.
Posted by Philippe Silberzahn on mai 3, 2006 at 07:00 AM dans Revue | Permalink | Commentaires (1) | TrackBack